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Julie

Une image qui en dit long sur la perte d'un être cher et merci à Julie de nous permettre de vous partager son texte lu le 28 avril 2021.


D’abord, merci à vous tous qui prenez le temps d’assister à cette cérémonie pour rendre hommage à Jean et à M. Yves. S’ils étaient parmi nous, je suis certaine qu’ils seraient très émus de la mobilisation à leur égard.


Quand j’ai su que l’Association pour les Victimes de l’amiante du Québec (AVAQ), avec le syndicat des professeurs (SGPUM), avait l’intention de faire une cérémonie commémorative en hommage à mon père, j’ai été très touchée. On nous a demandé, à ma mère et moi, si nous voulions dire quelques mots et j’ai souhaité participer. On m’a dit : «Ce ne sera pas long, juste 5 minutes!» et moi, étant de nature plutôt timide, je me suis dit «Parfait, je n’aurai pas à trop parler». Mais en m’asseyant pour rédiger ces quelques mots, l’ampleur de la tâche m’a parue insurmontable. Comment résumer, en 5 minutes, l’homme qu’était Jean? Impossible.


Vous êtes nombreux à l’avoir connu, et plusieurs d’entre vous ont également eu la grande gentillesse d’écrire quelques lignes sur lui sur le site d’Urgel Bourgie ou sur le site que nous avons monté en son honneur, jeanrenaud.info. Vous avez été nombreux à souligner son intelligence, son oeil pétillant, son attitude sans prétention qui le rendait facile d’approche et de contact agréable, son amour pour les bonnes choses de la vie, le vin, la bouffe...


Finalement, en réfléchissant à tout ce que vous avez écrit et en pensant à lui, à sa vie, aux «grands dossiers» qu’il a menés, je crois que je peux résumer qui il était en disant simplement qu’il était passionné. Surtout passionné d’apprendre et de comprendre le fonctionnement des choses. Cette passion l’a animé, autant quand il était petit et qu’il s’amusait dans la shoppe de son père à utiliser les grosses machines et à comprendre comment on s’installait pour faire une chaîne de montage, que plus tard, pour comprendre les défis et les enjeux de l’intégration des nouveaux arrivants à l’aide des méthodes quantitatives. D’ailleurs, il disait souvent «Moi, je ne travaille pas, je joue» lorsqu’il analysait ses données. Au lieu de lire un bon roman avant de se coucher, il lisait parfois le manuel de SPSS, pour le plaisir.


Cette passion était tout aussi présente pour ses passe temps. Quand il a décidé qu’il souhaitait faire son pain, il a passé des mois à étudier, à lire sur le sujet, à expérimenter (avec ma mère et moi comme cobayes), à goûter le pain expérimental versus le pain contrôle. Et une fois le résultat satisfaisant, croyez vous qu’il s’est arrêté? Pas du tout. Il a continué de lire, d’essayer des choses, si bien que son pain est devenu bien plus que «satisfaisant», mais carrément délicieux. Je ne doute pas que ce même désir d’aller au fond des choses et de maîtriser son sujet en profondeur l’a guidé dans la mise sur pied de son étude longitudinale ENI, qui a été un de ses «grands dossiers».


Jean avait également le génie d’arriver à transposer une chose qu’il avait apprise dans un domaine pour l’appliquer à un autre domaine nouveau. Par exemple, il est parmi les premiers àavoir appliqué à la sociologie des types d’analyses statistiques habituellement utilisées en démographie, en économie ou en biologie. Sur le plan plus personnel, il a transposé son expérience de chaîne de montage pour produire des poignées de porte en métal lorsqu’il aidait son père pendant l’été à sa shoppe pour faire une production efficace de poireaux blanchis et de compote de pommes pour l’hiver.Pas surprenant non plus que ce mode de découverte et d’apprentissage ait été l’une des bases de notre relation. Très tôt dans ma vie, il m’a fait la promesse qu’il m’apprendrait «tout ce qu’il savait». De cette façon, il m’offrait en quelque sorte son plus grand trésor : ses connaissances, mais surtout son goût pour la découverte et la compréhension des choses.


Je crois que sa profonde curiosité intellectuelle a contribué à son succès professionnel : il a foncé dans ses projets, même si son approche pouvait être marginale à l’époque. Car les recherches quantitatives en sociologie n’étaient pas les plus populaires à l’époque.


Je crois que cette attitude a aussi contribué à son succès «personnel», en quelque sorte. Il aimait les gens, et il aimait les voir animés d’un désir de comprendre et d’apprendre comme lui. Il aimait, et il avait un certain talent pour faire collaborer les gens. Depuis son adolescence, alors qu’il devenait président d’une association de 3 collèges classiques, jusqu’à l’Université où, alors qu’il dirigeait le Centre d’études ethnique de l’Université de Montréal (CEETUM), il a réussi à le rendre inter--universitaire. À l’approche de la retraite, il a souhaité obtenir le titre de professeur émérite, mais pas seulement pour la reconnaissance que cela représente... surtout pour conserver son accès à la bibliothèque de l’université et à sa richesse d’articles et de revues scientifiques. Même retraité, il est devenu le président du conseil d’administration des condos de Profil O, peu de temps après y avoir emménagé. Quel plaisir il a eu à découvrir comment fonctionnent tous les systèmes d’un grand édifice à condo, comme la ventilation, le chauffage et la climatisation, les différentes alarmes, etc., et à rassembler les gens pour en assurer la pérennité. Il a dû renoncer à la présidence suite à la découverte de son mésothéliome, mais il est toujours resté impliqué à la mesure de son énergie auprès du conseil d’administration.


C’est ce diagnostic qui l’aura mené finalement vers son dernier «grand dossier», celui de la reconnaissance des victimes cols blancs de l’amiante, dont il fait partie. Vous comprendrez sûrement que, pour se battre pour la reconnaissance de son diagnostic comme étant une maladie professionnelle et tenter d’utiliser sa propre expérience pour faire évoluer le dossier de l’amiante au niveau de la société, cela prenait une énergie qu’on ne peut avoir en de telles circonstances que quand on est vraiment passionné. Cette passion qui l’a guidé dans ce dossier était celle de faire profiter à d’autres qui le suivraient du chemin qu’il aurait tracé pour eux, et de rendre par le fait même son expérience de la maladie riche de sens.


Bien qu’il soit décédé avant d’avoir pu en voir la résolution finale, il aura réussi hors de tout doute à mettre ce dossier en lumière sur la place publique et à faire avancer les choses.

Inutile peut--être de vous le dire, mais je le fais quand même, je suis très fière de l’avoir eu comme papa. Il me manque déjà beaucoup.

Julie
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